La responsabilité civile : la responsabilité pour faute et la responsabilité du fait des choses

Publié le 15 août 2023 à 08:29

Nous sommes samedi matin et Jean BLONBLON, qui a décidé de se mettre une bonne fois pour toute au sport, décide de tenir ses bonnes résolutions et d’aller faire de la course à pied.

Après deux kilomètres de course à pied, Jean BLONBLON, fatigué, heurte une boite aux lettres située à l’angle d’une rue en plein milieu du trottoir. La boite aux lettres a été installée à cet endroit par Christophe PASGENTIL, un voisin peu aimable, qui semble faire tout ce qui est en son pouvoir pour embêter son voisinage…

Jean BLONBLON, en chutant, se casse l’épaule et, occupant actuellement un emploi de manutentionnaire, ne peut plus travailler pendant plusieurs mois.

Quels recours peut-il exercer contre son voisin pour obtenir la réparation de ses préjudices ?

 

Résolution

 

Faits : Un homme heurte une boite aux lettres positionnée par son voisin en plein milieu du trottoir à voisin en plein milieu du trottoir à l’angle d’une rue alors qu’il effectue une course à pied. Il se casse l’épaule et ne peut plus travailler pendant plusieurs mois.

 

Démarche : Une même personne peut être poursuivie pour un même dommage sur plusieurs fondements textuels du droit commun. La personne peut tout à la fois être poursuivie à cause d’une faute qu’elle a commise (La responsabilité du fait personnel) ou du fait d’une chose dont elle a la garde (La responsabilité du fait des choses). En effet, lorsque les conditions de la responsabilité du fait personnel et celles de la responsabilité du fait des choses sont réunies, la victime peut choisir de fonder son action autant sur les articles 1240 du code civil français (article 1382 du code civil en droit positif ivoirien) et 1241 que sur l’ article 1242 alinéa premier du code civil français (article 1383 et 1384 du code civil en droit positif ivoirien.

 

Premier fondement : Sur le fondement de la responsabilité du fait personnel

 

Problème de droit : La victime peut-elle engager une action en responsabilité pour faute sur le fondement des articles 1240 et 1241 du Code civil français (article 1382 et 1383 du code civil en droit positif ivoirien) contre son voisin?

 

Solution en droit : Selon les articles 1240 et 1241 du Code civil français (article 1382 et 1383 du code civil en droit positif ivoirien) , pour engager la responsabilité du fait personnel d’une personne, la victime doit établir l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité.

S’agissant de la faute, à défaut de définition légale, cette dernière est définie par la jurisprudence comme tout fait, d’action ou d’abstention, qui ne correspond pas au standard de comportement qu’aurait adopté une personne raisonnable dans la même situation.

Cette faute est appréciée objectivement, la Cour de cassation ayant abandonné l’élément subjectif de la faute de sorte qu’il n’est pas nécessaire que son auteur ait eu conscience de ses actes (Ass. Plén. 9 mai 1984).

S’agissant du dommage, ce dernier peut être matériel, moral ou corporel mais doit être réparable c’est à dire direct (il doit être la suite directe du fait dommageable), certain (sa réalisation doit être certaine) et légitime (le préjudice n’est pas réparable si le bienfait dont la victime a été privé est jugé illégitime).

S’agissant du lien de causalité, la jurisprudence recourt parfois à la théorie de l’équivalence des conditions (le lien de causalité existe dès que l’événement envisagé a concouru à la réalisation du dommage) et parfois à la théorie de la causalité adéquate (le lien de causalité existe dès lors que, parmi les multiples causes possibles du dommage, seule la cause prépondérante doit être retenue comme fait générateur de responsabilité).

En matière de responsabilité délictuelle du fait personnel, la jurisprudence, semble retenir la théorie de l’équivalence des conditions (Civ. 2e, 24 mai 1971).

 

Solution en l’espèce : En l’espèce, s’agissant de la faute, Christophe PASGENTIL a volontairement installé sa boite aux lettres au milieu de la rue et à l’angle d’un trottoir. Ce comportement ne correspond pas à celui d’une personne raisonnable qui aurait pu prévoir qu’en positionnant sa boite aux lettres à un tel emplacement, la circulation des piétons s’en trouverait gênée. Ainsi son comportement peut être qualifié de fautif, de sorte que cette condition est satisfaite.

S’agissant du dommage, Jean BLONBLON s’est cassé l’épaule en chutant.

Le dommage est direct car il est la suite directe de sa collision avec la boite aux lettres.

Le dommage est certain et non éventuel car les blessures ont été
constatées à la suite de l’accident. Le dommage est donc réparable.

Enfin, Jean BLOBLON a subi deux préjudices à savoir qu’il ne peut plus travailler ce qui lui occasionne une perte de rémunération et qu’il s’est fait une blessure physique ce qui occasionne des dépenses de santé.

Ces deux préjudices sont bien légitimes à condition, s’agissant de la perte de rémunération qu’elle ne provienne pas d’un travail non déclaré (Civ. 2e, 24 janvier 2002, 99-16.576) ce qui ne semble pas être le cas en l’espèce.

Dans certains cas, le rédacteur du sujet peut s’attendre à ce que vous énumériez ensuite les préjudices qui peuvent être réparés au regard de la nomenclature Dintilhac.

S’agissant du lien de causalité, les blessures subies par Jean BLONBLON sont la conséquence du heurt avec la boite aux lettres de son voisin. Si le voisin n’avait pas commis de faute en plaçant la boite aux lettres à un tel emplacement, Jean BLONBLON ne l’aurait pas heurté et ne serait donc pas tombé en se cassant l’épaule.

La faute du voisin a bien concouru à la réalisation du dommage, de sorte que le lien de causalité est établi.

 

Conclusion : En conclusion, Jean BLONBLON pourra certainement engager la responsabilité de son voisin Christophe PASGENTIL du fait de la faute commise afin d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices.

Au cas où la faute du voisin n’était pas retenue par les juges, il faut toutefois regarder si Jean BLONBLON pourrait agir contre son voisin sur le fondement de la responsabilité du fait des choses.

 

Deuxième fondement : sur le fondement de la responsabilité du fait des choses

 

Problème de droit : La victime peut-elle engager une action sur le fondement de la responsabilité du fait des choses au sens de l’article 1242 alinéa 1 du Code civil français (article 1384  alinéa 1 du code civil en droit positif ivoirien) contre son voisin?

 

Solution en droit : Selon l’article 1242 alinéa 1 du Code civil français (article 1384  alinéa 1 du code civil en droit positif ivoirien), « on est responsable (…) du dommage (…) qui est causé par le fait (…) des choses que l’on a sous sa garde ». Sur ce fondement, la jurisprudence a créé un principe général de responsabilité du fait des choses, dans l’arrêt Teffaine rendu le 16 juin 1896.

Pour engager la responsabilité d’une personne sur ce fondement, quatre conditions doivent être réunies : le défendeur à l’action doit détenir la garde d’une chose ayant eu un rôle actif dans la production du dommage.

S’agissant de la chose, la jurisprudence, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 ancien, avait adopté une conception large de la chose, puisque toute chose, mobilière ou immobilière (Civ. 2, 20 novembre 1968), dangereuse ou non dangereuse, viciée ou non viciée (Ch. Réunies, 13 février 1930) permettait d’engager la responsabilité de son gardien. Une boite aux lettres est ainsi considérée comme une chose (Civ. 2 , du 25 octobre 2001, 99- 21.616).

Ces solutions devraient être maintenues sous l’empire des nouveaux textes.

S’agissant de la garde, depuis l’arrêt « Franck» (Ch. Réunies, 2 décembre 1941, arrêt Franck) la garde est caractérisée par l’usage (maîtrise de la chose), le contrôle (possibilité de décider de la finalité de son emploi) et la direction de la chose (possibilité d’éviter que la chose ne fonctionne anormalement).

Le propriétaire d’une chose est par principe présumé être son gardien selon la Cour de cassation et doit, s’il souhaite échapper à l’engagement de sa responsabilité, prouver qu’il a transféré la garde de la chose à autrui.

S’agissant du fait actif de la chose, la victime doit établir que la chose a été l’instrument du dommage. Il faut donc établir le lien de causalité entre la chose et la survenance du dommage.

La jurisprudence distingue selon que la chose est ou non en mouvement et s’il y a eu ou non contact entre celle-ci et la victime:

      - Si chose est en mouvement et entre en contact avec la victime, le fait actif est présumé jusqu’à preuve contraire.

      - Si la chose est inerte, il y a la nécessité, pour la victime, de démontrer le caractère anormal de la chose conformément à l’article 1353 du Code civil français (article 1315 du code civil en droit positif ivoirien). La victime doit prouver l’anormalité de la chose (Civ. 2, 11 janvier 1995) c’est à dire sa dangerosité (Civ. 2, 14 novembre 2002), sa position anormale (Civ. 2, 11 février 1999) ou une fragilité excessive établissant sa défectuosité (Civ. 2, 24 février 2005).

S’agissant du dommage, les solutions ont déjà été évoquées plus haut.

 

Solution en l’espèce :

S’agissant de la chose, la boite aux lettres pourra sans difficulté, être qualifiée de chose au regard des solutions évoquées.

S’agissant de la garde, le voisin est manifestement propriétaire de la boite aux lettres, de sorte qu’il en est présumé gardien.

S’agissant du fait actif de la chose, la boite aux lettres est une chose inerte de sorte qu’il est nécessaire pour la victime de démontrer l’anormalité de la chose. En l’espèce, la boite aux lettres est positionnée dans l’angle d’une rue en plein milieu du trottoir de sorte qu’il ne fait aucun doute qu’elle est bien dans une position anormale et qu’elle est l’instrument du dommage, Jean BLONBLON n’ayant pu la voir avant de la heurter.

 

Conclusion : Ainsi, la responsabilité du voisin pourra surement être retenue également sur ce fondement.

Il faut préciser également que la responsabilité du fait des choses est une responsabilité de plein droit (Ch. Réunies, 13 février 1930), qui ne suppose pas la preuve d’une faute du gardien. Le gardien ne peut s’exonérer qu’en prouvant la force majeure ou la faute de la victime.

Or, les faits du cas pratique ne laissent penser qu’aucune cause d’exonération ne peut être invoquée en l’espèce de sorte que Christophe PASGENTIL sera responsable de l’entier dommage subi par Jean BLONBLON.

Si les faits du cas pratique laissaient envisager la possibilité d’un cas de force majeure ou de la faute de la victime, il faudrait envisager, dans un troisième point, la question de l’exonération éventuelle du responsable du dommage.

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Commentaires

Faleke
il y a un an

Bonjour maître.

Je vous remercie pour la correction. Cependant j'ai le sentiment qu'elle est incomplète.

Pouvez-vous éclairer ma lanterne svp?

La Documentation Juridique
il y a un an

En nous basant sur le casus qui a fait l'objet de notre analyse, nous pouvons affirmer que la tentative de résolution est complète.